Légumes à la vapeur

Publié le par Ludo

En atteignant un poste haut placé, le Japonais standard acquiert un pouvoir qu’il exerce souvent avec sévérité sur ces subordonnés dans le but de continuer dans la lignée de ses prédécesseurs, pour éviter de prendre toute responsabilité en cas d’échec du système, et par commodité surtout. Cela n’empêche pas certains ronds de cuir (j’adore ce terme utilisé à outrance dans le courrier des lecteurs des magazines télé) de présenter leurs excuses en public par une courbette à 90 degrés et un discours plein de larmes de honte bien interprété, lorsque leur compagnie se trouve au cœur d’un gros scandale. Dîtes donc, ça balance aujourd’hui !

 

Mon ressentiment pour la direction des établissements scolaires, et la hiérarchie locale existe depuis pas mal de temps. Cette année, après les épisodes des horaires, de la petite faveur et des glaces, je suis en mesure de rajouter une nouvelle anecdote navrante à cette liste.

 

A partir de juin et jusqu’à la mi-septembre, le pays tombe dans une période que j’appelle "les jours infernaux" en raison d’une chaleur et surtout d’une humidité épouvantable. Les enfants débutent leurs vacances d’été à la troisième semaine de juillet et reprennent les cours début septembre. Rappelons que l’année scolaire démarre en avril ici. Dans la grande majorité des établissements de la zone où j'officie, la climatisation, présente en général uniquement dans la salle des profs, est actionnée à partir de juillet. Dans des cas extrêmes, où il fait à mon sens assez chaud pour que le papier peint se décolle des murs et que les gouttes de sueur coulant du front gênent le champ visuel, le principal, en bon prince, daigne mettre l’air conditionné en marche. Pendant ce temps-là, les salles de classe abritent un climat sub-saharien et les élèves n’ont pas le droit d’utiliser leur éventail pendant les cours. Les profs non plus d’ailleurs. Je pris le risque l’année dernière de me munir d’un tel outil lors d’une leçon d’anglais avec des quatrièmes. La prof me fit signifier après le cours que c’était « mal » : si les gamins s’aéraient tous de la sorte, ils seraient trop distraits pour écouter quoi que ce soit et cela développerait en eux l’égoïsme et la flemme, et que, quand il fait chaud, ils se doivent de faire preuve de patience. Résultat, les collégiens affichent tous une mine de zombie desséché ou de baudroie bouillie noyant dans son jus, ont les yeux à moitié clos et s’éventent avec difficulté avec leur planche d’écriture en plastique. Un bel exemple d’hypocrisie. Si on autorisait les éventails, je suis convaincu que les légumes flasques auxquels j’enseigne l’Anglais auraient l’air plus frais.

 

Les températures d’une classe paraissent néanmoins beaucoup plus basses que celle de la salle des profs. Véritable réacteur de centrale atomique, la chaleur y est telle que la perte de connaissance guette à chaque mouvement de sourcil trop brusque. Après un après-midi dans cette fournaise, les vêtements collent à la peau et les essorer produirait une bonne flaque de sueur de trois mètres carré. L’interstice fessier fait lui office de gouttière et à d’autres endroits plus secrets encore, le papier colle au bonbon, pour reprendre de bonnes vieilles expressions populaires. Merci à Josette pour la première et à Howard le célèbre journaliste pour la seconde.

 

Notre principal, lui, a décrété qu’il branchera la clim’ uniquement quand les températures matinales dépasseront 30 degrés, et uniquement en juillet. Donc s’il fait 29 le matin du quinze juillet, perdu. S’il fait quarante en juin, perdu. Cela faisait deux semaines qu’elles atteignaient 28, pour grimper à 32 après déjeuner, et cette semaine elles dépassent allègrement ce cap, mais puisque nous sommes seulement le 28...

 

Ajoutez a cela le supplice du déjeuner. Le réfectoire est climatisé lui, mollement et aussi puissant qu’un ventilateur européen branché en 110V, mais climatisé quand même. Sans doute pour que l’on se sente mal à l’aise à n’importe quel moment de la journée, les menus ne proposent rien de frais ! Aujourd’hui j’ai donc consommé avec peine un risotto brûlant avec de la soupe de poulet bouillante accompagné de thé chaud, puisque l’on n’a droit à de l’eau fraîche que dans les restaurants ici. « Et mon eau minérale ? » demandait Louis de Funès déguisé en vieille dame dans l’Aile ou la Cuisse.

 

Plusieurs collègues japonais se sont plaints de l’entêtement de leur boss mais ils n’oseront jamais lui dire quoi que ce soit. Trônant au sommet de l’Olympe, l’homme de pouvoir dicte ainsi ses caprices. Faut-il y voir là le fruit de plusieurs années de persécutions transformées en sadisme ?  Autre chose : le tyran ne vient que rarement à l’école. Je veux être calife à la place du calife !


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Pourtant c'est pas bien dûr à mettre en marche une clim'!

Publié dans Ecoles

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