Crimes sans châtiments

Publié le par Ludo

Elle paraît bien loin l’époque où l’on envoyait les élèves turbulents au coin. Si chaque pays a opté pour une politique plus souple vis-à-vis de ses chers têtes blondes au fil des années, faisant ainsi disparaître des pratiques archaïques comme le bonnet d’âne et la flagellation des doigts au moyen d’une règle, le Japon est allé plus loin en ne laissant que peu de droits aux enseignants.

Dans une émission très instructive sur la scolarité du pays, j’ai pu me rendre compte que mes quatre ans d’expérience ne m’avaient fait découvrir qu’une partie de l’iceberg.

Le chapitre sur les châtiments corporels (taibatsu 体罰) m’a particulièrement choqué.

On considère ainsi comme taibatsu plusieurs actions évidentes : un enseignant ne peut frapper un élève, ne peut lui interdire d’aller aux toilettes, ne peut le priver de repas… Bien que le terme « corporel » n’ait aucun rapport avec les deux derniers exemples (ni avec ce qui va suivre), ceux-ci restent malgré tout classés dans la même catégorie. Le sujet délicat doit certainement animer les écoles du monde entier. Parfois une bonne gifle ou un bon coup de pied dans le séant mettrait beaucoup de choses en ordre, mais d’un autre côté, je m’inquièterais de certains abus.

Le programme se poursuivit après une coupure publicitaire, pour présenter la société moderne dans toute sa bêtise. Un professeur n’a ainsi pas le droit d’obliger un élève à s’asseoir en seiza 正座 (sur les genoux, les pieds sous le postérieur) lors d’un sermon, alors que cette forme de punition reste largement répandue dans les foyers, et ne peut de la même manière forcer un gamin à se tenir debout dans le couloir après les cours pendant qu’il le gronde. De toute manière, il n’est pas permis de hurler sur un enfant en dehors de la classe et des heures de cours.

Pire : il est interdit de virer un élément perturbateur de la salle de classe. En apprenant cela, je me suis dit que la chance m’avait accompagné pendant ces quatre années puisque j’ai dû dire au moins à une dizaine de monstres (dont les trois quarts au collège) d’aller respirer un autre air. Heureusement qu’aucun parent ne s’est plaint.

L’émission présentait également des témoignages de profs persécutés par des parents d’élèves. Une jeune prof avait ainsi surpris trois mères en train de fouiller dans ses poubelles. « Mais qu’est ce que vous faites ? » leur demanda t’elle. Elles lui répondirent : « nous regardons ce que vous mangez. Avec une vie aussi déséquilibrée, rien d’étonnant à ce que nos rejetons n’arrivent pas à suivre vos cours ! ». Elles avaient découvert des récipients de nouilles instantanées dans le sac plastique…

Avec un tel support parental contre lequel les profs n’ont plus aucun recours ou presque, les enfants ont donc tous les droits. Depuis une dizaine d’années que ces mesures grotesques ont été instituées, la jeunesse japonaise se complait dans la fainéantise et le manque de respect. Un cancre ne sera jamais inquiété : il pourra dormir en classe à volonté, ne pas faire ses devoirs, rendre des pages blanches lors des tests, ne sera jamais expulsé de l’école et ne redoublera jamais. En cas de problème, il ne sera même pas convoqué dans le bureau du principal ou d’un de ses subordonnés directs. Il devra subir tout au plus la morale de l’enseignant responsable de sa classe et dans les cas extrêmes, une réunion avec ses parents sera organisée.

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Je travaillais l’année dernière dans un collège difficile (plus de détails le 23 novembre). Certains abrutis s’amusaient à vandaliser les portes des classes, les bureaux des profs dans les classes, les couloirs et à peu près tout ce qui leur passait sous la main. Des rencontres parents/profs furent organisées dans les domiciles des fautifs. Le discours préparé à l’avance était le suivant : « vos enfants ne détériorent pas votre appartement donc pourquoi font-ils cela au collège ? ». Malheureusement, il s’avéra obsolète une fois la porte d’entrée franchie : tout était cassé à l’intérieur…

Les règlements les plus stricts comme le port de l’uniforme se retrouvent parfois ignorés quand des parents s’y opposent. L’un de mes étudiants de l’année passée portait chemise et jean. Bon élève, il n’avait rien d’un rebelle, ses parents avaient juste décidé et négocié avec le principal qu’il avait le droit de refuser le classique costume inspiré de l’infanterie à condition de porter une chemise.

Certaines collégiennes, profitent de l’absence de leurs parents pour agir comme bon leur semble. Elles vont retrousser leur jupe au maximum façon minijupe, se teindre les cheveux, sécher les cours ou passer les cinquante minutes de leçon à se maquiller et à envoyer des mails sur leur téléphone portable. Ce comportement fréquent au lycée reste très marginal au collège. Quand on contacte la famille de ces adolescentes pétassoïdes, personne ne répond ou alors les parents appartiennent à la même trempe et toute méthode de conciliation se conclut par un échec.

Comment le corps enseignant réussit-il à encaisser tout cela ? La meilleure méthode consiste tout simplement à ignorer ce genre d’attitude. J’ai mis du temps mais désormais je ne bronche que si l’un de ces sous-doués dérange ceux qui étudient sérieusement.

Dans le passé, je ne faisais pas preuve d’autant de patience. Je vous raconterai le 30 novembre comment j’ai ainsi pété les plombs.

Publié dans Ecoles

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