テレビ

Publié le par Ludo

Copiée, jamais égalée, critiquée à l’étranger ou simplement moquée, la télévision japonaise est incomparable. C’est un pur régal d’en devenir l’esclave dévoué tous les soirs. Après le boulot et une bonne douche, je m’étends sur mon fauteuil d’une manière aussi élégante qu’un vieux Coulommiers sur un plateau, en dégustant mon dîner les yeux rivés sur mon Sony Trinitron.

Les chaînes, au nombre de sept hertziennes, auxquelles on ajoute quatre satellites (un service gratuit inhérent à mon immeuble), offrent un choix satisfaisant. Parmi les sept premières citées, je n’en regarde réellement que cinq, plus la moitié des secondes.

Les chaînes boycottées, plus par manque d’intérêt que par réelle conviction, demeurent CNN, ESPN (la chaîne sportive américaine mais où toutes les retransmissions se font en différé ici), NHK (la chaîne nationale) et NHK9 (la chaîne éducative nationale).

La redevance existe belle et bien au Japon mais repose sur un système absurde (chose décidément fréquente dans ce pays). Pour tout comprendre, rien ne vaut une petite anecdote personnelle. Ceci m’est arrivé l’année dernière. J’avais convié des collègues étrangers (polonais, britanniques et américains) au visionnage du film lauréat de la Palme d’Or à Cannes à cette époque : Fahrenheit 9/11 de Michael Moore. Etant tous anti-Bush, nous étions très absorbés par cette oeuvre quand soudain, quelqu’un sonna à ma porte. Cela n’arrivant qu’une à deux fois par an à une heure aussi tardive (il était déjà 20h30), je pensais avoir affaire à un livreur pour je ne sais quel colis. Un petit homme visqueux, à demi chauve et à lunettes, me balbutia quelques mots incompréhensibles en anglais tout en souriant nerveusement. Je le rassurai de suite en lui proposant de parler dans sa langue. Il me dit alors qu’il était chargé de collecter la redevance pour NHK. Je lui fis part de mon étonnement en déclarant que c’était bien la première fois en trois ans de résidence dans cet appartement qu’on me réclamait une telle chose. Curieux, je lui demandai alors à combien se chiffrait la douloureuse. Il me tendit un prospectus où figuraient les tarifs. Les bras m’en tombèrent. On me demandait de payer 1500 yens par mois, soient 18000 yens par an (137 euros environ). Le petit gars huileux ajouta alors que je n’avais pas à régler les trois années passées, maigre soulagement. J’avais vaguement entendu parlé de personnes qui refusaient de payer leur redevance et qui n’avaient eu aucun problème. Comme saupoudrées de parmesan, les épaules de cet être frêle et timide étaient couvertes de pellicules. D’un aplomb certain, je lui lançai que, sans vouloir lui manquer de respect, je n’avais jamais ouï dire d’une telle taxe, que si son règlement se faisait de la sorte, ça n’avait aucun sens, que personne ne l’avait jamais réclamée et que je n’avais aucune preuve qu’il travaillait bien pour NHK. Il me montra alors de plus près la carte d’identité qu’il portait au cou. On y voyait une photo qui reflétait son manque d’envergure et d’ambition par une expression remplie de tristesse et d’ennui, une vraie tête de délinquant sexuel pris en flagrant délit dès sa première tentative de vol de petites culottes (fait divers qui revient régulièrement). Par une moue montrant mon scepticisme, je lui fis remarquer qu’une telle carte pouvait très bien avoir été forgée. Un peu décontenancé, il prit son téléphone portable et appela son chef, lui expliqua la situation et me tendit l’appareil. Son supérieur, bien que doté d’une voix plus convaincante, ne m’impressionna pas pour autant. J’imaginais que jadis, lui aussi avait fait du porte-à-porte avec une tête d’otaku sans ami. Il me certifia que son sbire et lui-même œuvraient bien pour la chaîne nationale. Je lui ressortis exactement les paroles que j’avais exprimées plus tôt, en ajoutant qu’il pouvait très bien être complice. L’homme me supplia de le croire et raccrocha. Son subalterne restait planté là sans rien dire, se contentant de hocher la tête en souriant, l’air de m’inviter poliment à céder, tel un gamin qui implore sa mère de lui acheter des bonbons. Il utilisait sa dernière arme : le silence. Comme souvent quand un Japonais vous demande une faveur, il se fait muet comme une carpe en vous faisant presque regretter de réfléchir à une réponse négative jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut. Manque de bol, ça ne marche jamais avec moi. Avec un culot très gaulois, je lui dis que je me renseignerai auprès de mon propriétaire et l’invitai à éventuellement repasser la semaine prochaine.

Sept jours plus tard, alors que j’en prenais pleins les mirettes et les conduits auditifs avec la version longue des Deux Tours en DVD, je ne pus entendre la sonnette quand le même personnage dans son costume étriqué vint me rendre visite pour la seconde fois. Il se contenta de déposer un papier sur lequel apparaissait une caricature mignonne d’un salarié NHK saluant de la main droite et flanqué d’un phylactère indiquant « c’est NHK. Je suis passé vous voir » dans ma boite aux lettres. Quelques peu inquiété par sa persévérance, je fis des recherches en ligne et appris des choses intéressantes. Cet impôt télé quoique obligatoire, peut très bien être ignoré. En fait, le contribuable peut s’en moquer à loisir car NHK ne peut techniquement le poursuivre en justice. Le nombre déjà surprenant de personnes qui ne paient pas la redevance augmente chaque année, phénomène accentué en 2005 par le scandale qui a ébranlé les dirigeants de la chaîne. Ces derniers utilisaient les fonds à des fins personnelles.

A l’instar de Badgam, super héros créé par Les Nuls à la radio il y a fort longtemps, dont la maxime était « j’ai un pote à la préfecture qui peut te faire sauter tes PV », le représentant de NHK n’a aucun pouvoir.

Une dizaine de jours plus tard, il revint, sonna à ma porte et attendit deux minutes les yeux dans le vide, pendant que je le scrutais à travers le judas, avant de repartir la queue entre les jambes, si je puis dire, pour ne jamais revenir.


Image Hosted by ImageShack.us

 

Le reste des chaînes offre un panel télévisuel très large afin de contenter toutes les tranches de la population et de ne pas perdre face à la concurrence. Ainsi, on retrouve en prime time des émissions peu digestes à mon goût, comme des matchs de baseball soporifiques, des mélos (avec un franc succès rencontré depuis un an pour les séries coréennes), de la bouffe (sur la dégustation surtout et peu sur la préparation), et les facéties « esprit TF1 » de Takeshi Kitano, dont nous reparlerons dans un autre article. La TV nipponne souffre de ces quelques tares et d’un volume sidérant de plages publicitaires (de deux à dix minutes toutes les dix ou quinze minutes selon les tranches horaires).

En cas de prolongation d’une rencontre de baseball, le film qui suit a de fortes de chances de se voir encore plus amputé qu’à l’accoutumée afin de rattraper le retard sur le reste de la grille quotidienne. C’est ce qui est arrivé l’année dernière au malheureux Aliens le retour. Le générique du début s’est vu massacré, la scène du cauchemar où Ripley rêve qu’un alien naît de son thorax est passée à la trappe et le briefing de l’héroïne sur sa mission : couic ! En plus des coupures prévues initialement, l’œuvre de James Cameron s’est faite tronçonnée de vingt minutes et tant pis si l’histoire n’avait plus aucun sens. C’est pourquoi j’évite de regarder des films à la télévision désormais.

Heureusement tout n’est pas à jeter pour autant. Parmi les programmes vraiment intéressants, on peut se détendre devant des jeux télévisés toujours divertissants, des documentaires passionnants et divers talk-show hilarants. Globalement, et malgré tous ses défauts, la télévision japonaise m’apporte beaucoup plus de satisfaction que la télévision française devenue insipide, arrogante et vulgaire.

Publié dans Ougl

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :