No future ?

Publié le par Ludo

Qui a dit que les enfants étaient doux, innocents et incapables de cruauté ? Parmi les 7000 et quelques élèves que j’ai connus, j’ai rencontré un grand nombre de "cas sociaux" parmi lesquels on peut dégager plusieurs comportements. Un enfant peut voguer continuellement dans le même état comme en cumuler plusieurs et dans de nombreux cas, cette mauvaise étiquette ne lui reste pas collée indéfiniment.

 

Les exclus de force

Je fus vraiment surpris lors du premier jour dans une de mes écoles de voir qu’une fillette et sa jeune sœur restaient dans la salle des profs malgré la sonnerie du premier cours. L’aînée était apparemment en cinquième année (CM2) alors que sa sœur était en deuxième (CE1). La plus âgée, très souriante et bavarde ne semblait souffrir d’aucun handicap. La plus jeune par contre, demeurait plus discrète et ne discutait pas beaucoup. Son occupation favorite, à longueur de journée consistait à faire le tour de la photocopieuse en marchant… J’appris plus tard qu’une année auparavant, l’aînée avait mal pris une réflexion d’une de ses camarades au point de refuser de se rendre à l’école le jour qui suivit. Les parents avaient donc décidé arbitrairement que leurs enfants ne prendraient pas leurs cours avec les autres… Ainsi, les deux recevaient quelques devoirs dans la salle des professeurs… Je doute sincèrement qu’il s’agisse d’un cas d’ijimé puisque généralement un enfant brimé refuse purement et simplement d’aller à l’école pendant une longue période et reste enfermé sur lui-même.

 

Les ermites

Ils se sont exclus d’eux-mêmes car le plus souvent, ils considèrent les cours trop durs ou trop fatigant. Ces gamins se couchent toujours à des heures tardives, arrivent à l’école amorphes et grognons, avec des cernes sous les yeux et dorment fréquemment en classe. Prenez cet élève de troisième (CE2) de l’école C où j’officie cette année. Il ne fait rien de rien en classe. Il discute avec ses voisins, ne prend même pas la peine de regarder les copies qu’on lui remet, ne dit rien quand tout le monde répète à voix haute et vit dans son petit monde tranquille puisque le prof ne lui dit rien. Dans la même école mais en cinquième (CM2), un garçon, pourtant loin d’être stupide (pas autant que son cadet du moins), parle inlassablement en continu que vous fassiez répéter une phrase à la classe ou que vous expliquiez un jeu… Epuisant comme une radio sur une plage. Toujours dans la même école (décidément) mais en sixième, un autre garçon passe son temps à marmonner dans sa barbe (non ce n’est pas un redoublant. De toute façon il n’y a pas de redoublement). Beaucoup plus petit que les autres et souffrant d’eczéma, je l’avais pris pour un enfant persécuté au début pour me rendre compte que c’était le premier à critiquer ses camarades à la moindre faute. Cette teigne ne rend jamais ses devoirs et passe son temps à rouspéter.

 

Les odieux

Si ce ronchon insulte les autres, il le fait toujours discrètement, ce qui n’est pas le cas de ceux qui nous intéressent dans ce paragraphe. En revanche les odieux appartiennent très souvent aussi à la catégorie précédente. K., un élève de troisième (CE2) de l’école primaire S., sans doute possible un ADHD, ne peut rester assis plus de deux minutes. Il prétexte toujours quelque chose pour se rapprocher un maximum du tableau et ne cesse de faire l’intéressant en parlant très fort. Doté d’un esprit très vif et certainement d’un QI supérieur à la moyenne, il ne fait preuve d’aucune retenue pour incendier ses camarades d’insultes quand ceux-ci peinent à un exercice. A huit ans, un tel comportement surprend beaucoup. Dans la même école, un gamin de quatrième (CM1), obèse et plus grand que ses copains, afficha au grand jour toute sa démence lorsque, à la suite d’une réflexion de la part de son institutrice, il lui hurla « Ta gueule, connasse ! Va crever ! » à plusieurs reprises avant de se faire prier de quitter la salle. Sur ce il beugla « Ah ouais ! Ben t’en fait pas la vieille, je la quitte cette salle ! ». Pendant ces quelques secondes, je me sentais revivre une scène de collège.

C’est incroyable de constater que certaines têtes blondes brunes, à priori incapables de faire le mal, peuvent s’avérer infectes. Il y a trois ans, j’enseignais dans une école primaire réputée difficile puisqu’elle se composait d’un certains nombres d’orphelins.

Un jour alors que j’étais assis à mon bureau dans la salle des profs, une fillette de deuxième année (que je ne connaissais pas puisque je ne donne des cours qu’à partir des troisièmes) vint s’asseoir au bureau voisin. La troisième heure avait déjà démarré donc j’en déduisais qu’elle devait faire partie des sujets à problème. Gentiment je lui dis « bonjour ». Sa réponse cinglante me choqua jusque dans mes tripes. Cette gamine de 7 ans me lança, sans aucune raison avec un regard empli de haine « Crève ! ». Croyant avoir mal entendu, je lui répondis : « quoi ? ».

-         Crève !

-         Bah qu’est-ce qui te prends ? Je ne t’ai rien dit moi !

-         Ta gueule !

-         Ah je vois…

-         Ta gueule !

-         Bon tu ne m’intéresses pas. Tu peux aller voir ailleurs.

Elle continua pendant une bonne minute avant de sortir de la pièce. J’en fus estomaqué. Que se passe-t-il dans le cerveau d’une telle personne ? Dans la même école, un garçon de cinquième année cette fois, passait lui aussi son temps dans la salle des profs plutôt que de se rendre en cours. La plupart du temps, il faisait preuve de gentillesse et nous discutions beaucoup. Un jour alors que je m’affairais à la préparation d’un cours sur mon PC, il vint par surprise dans mon dos pour me chatouiller. Je pris bien cette plaisanterie, mais commençai à perdre patience au bout de la dixième fois après lui avoir demandé d’arrêter une bonne cinquantaine de fois.

Je lui fis une mise en garde sérieuse… qu’il s’empressa d’outrepasser. C’en était trop ! Dans un bouillonnement nerveux assez rare, je le pris par le col, le sortis de force de la salle et lui indiquai l’escalier en lui sommant d’aller en cours. Il se retourna vers moi et avec des yeux remplis de vexation et de larmes, il me sortit les classiques « Crève ! Ta gueule ! ». Je le pris alors par le col et lui passai un sermon : « A part emmerder ton monde et dire des insultes, c’est tout ce que tu sais faire ? Ca te ferait du bien d’aller en cours ! ». Sur ce, il emprunta les escaliers. J’ignore s’il se rendit en définitive en classe mais au moins il fit semblant. Une demi-heure plus tard, le principal vint s’excuser pour l’attitude du môme. Celui-ci m’adressa lui-même ses regrets un peu plus tard. Deux semaines plus tard, je remettais les pieds comme prévu dans cette école, enchanté d’apprendre que l’intéressé avait réintégré tous les cours normalement.

Il suffirait donc parfois d’un bon coup de pied au séant (il s’agit d’une image, je ne l’ai jamais frappé) pour faire bouger les choses.


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Les sanguins

Sans vociférer des insanités blessantes, certains enfants s’énervent pour un oui ou pour un non. Incapables de rester normalement assis et silencieux, ils ressentent le besoin de dépenser leur trop plein d’énergie en se tenant comme des chèvres sous acide. Ils beuglent interminablement, prennent mal la moindre remarque de la part de leur entourage et n’hésite pas à se montrer violent. L’un de mes élèves de troisième (CE2) de l’école S. répond parfaitement à ce profil. Un peu trop enveloppé pour son âge, il a toujours le teint rouge et la voix cassée. Il participe énormément au cours en parlant volontairement trois fois plus fort que les autres. Quand il commence à perdre à un jeu et que quelqu’un ose pouffer de rire, il prend alors sa chaise à bout de bras et se retient de l’envoyer sur sa victime (en présence de profs en tous cas). Quand ses nerfs sont vraiment en pelote, il frappe alors sans prévenir. L’un de ses camarades, en général bien plus calme, est pourtant promis à un avenir bien plus sombre. Plus gras encore, il passe son temps à réaliser des découpages. Sa semaine consiste donc à découper, découper et découper. Parfois il s’intéresse pendant une minute à la leçon mais finit par retomber dans sa routine débilisante. Pendant le repas, il ne mange que du riz, sans rien avec et, d’après sa prof, c’est le seul aliment qu’il daigne avaler à domicile. Je doute sincèrement que son cerveau puisse se développer normalement dans ces conditions. Lorsqu’il pète les plombs, ce qui survient une fois sur trois, il balaie tout sur son passage, cogne, griffe, mord, étrangle etc. jusqu’à ce qu’un enseignant l’attrape.

 

Les rebelles avant l’heure

Au début de l’année, tout va bien. Un ou deux récalcitrants font bien des siennes mais rien d’alarmant. Puis, petit à petit, l’anarchie gagne du terrain comme une épidémie. A la fin de l’année, vous vous retrouvez en face du tiers voire de la totalité des effectifs corrompus. J’en ai fait l’expérience récemment avec une classe de cinquième (CM2). Vous demandez de répéter une phrase, personne ne bronche. Au bout de la quatrième demande, un vague murmure peu convaincant se fait entendre. Vous posez une question simple et personne ne lève la main. A la place trois teignes répondent tout haut avec arrogance. Vous leur répétez une dizaine de fois que vous voulez qu’ils lèvent le doigt avant de prendre la parole mais rien n’y fait. Il ne vous reste plus qu’à pousser une bonne gueulante pour que les choses rentrent dans l’ordre pendant dix minutes. Epuisant surtout quand vous « assistez » un prof potiche ! A moins de tomber sur un instit’ ferme l’année suivante, ils vont s’enfoncer petit à petit dans un mauvais cercle vicieux.

 

Les tortionnaires

Je dois avouer que j’en ai rencontrés beaucoup plus au collège qu’en primaire. J’ai l’impression que la cruauté et l’intolérance se fait moins ouvertement à mesure qu’un enfant devient plus âgé. Dans plusieurs de mes classes de troisième année, viennent participer au cours d’anglais des éléments des classes dites spéciales. A raison de deux à trois élèves, elles se composent d’handicapés mentaux sévères à légers ou simplement de pauvres gamins un peu plus lents que les autres et qui peinent à s’intégrer. Tous se donnent vraiment un maximum au cours d’anglais et font preuve d’un sentiment de compétition exacerbé. Malheureusement, leur enthousiasme et leur participation se trouvent sapés par les réflexions affreuses de leur camarades quand ceux-ci mettent un peu de temps pour répondre ou commettent la moindre faute. Quand on ose les complimenter, on entend des commentaires du genre : « Il a répondu n’importe quoi et on le félicite ? C’est vraiment n’importe quoi ! ». Lors des jeux, une horde de nazis en short traque leur première hésitation qu’ils sanctionnent avec une intolérance sauvage d’une pique bien affûtée « Allez, t’as ENCORE perdu, tu t’assieds maintenant ». Les pauvres victimes tombent souvent en larmes ce qui sert d’occasion rêvée à leur bourreau : « Sensei, regardez ! Il pleure ENCORE ! Il n’a rien compris au jeu. C’est de sa faute ! ». Les proies, qu’il s’agisse d’handicapés, de timides, de petits, de taciturnes, partagent la même caractéristique : elles sont toujours faciles.

 

Les impertinents

D’un culot à toute épreuve, ceux que je considère comme les plus mal élevés, se sont montrés particulièrement nombreux cette année. Outre les classiques questions « Sensei, comment on dit couille en anglais ? » généralement posées dans les couloirs après les cours, certains monstres n’hésitent pas à déblatérer des horreurs en pleine leçon. Lors d’un cours assez mouvementé, l’un des élèves sérieux tentait de rétablir le silence en hurlant à ses camarades de se taire. Cela arrive parfois en effet, que le responsable de classe soit chargé de la discipline. Dans une mauvaise classe, cela n’a bien sûr aucun effet. Bref, après avoir crié cinq fois aux autres de fermer leur clapet, un môme se mit à dire « Il faudrait dire shut up puisque nous sommes en cours d’anglais », ce en quoi il n’avait pas tort, bien que je trouve l’expression un peu trop cinglante. Hélas il ajouta : « Il y a fuck aussi ». J’ignore où il avait entendu un tel mot mais je lui répondis que c’était très mal poli. Il s’amusa ensuite à me mettre les nerfs en boule en répétant la formule trois fois… Dans la même classe, un gamin passe ses journées à faire des découpages (un autre), non sans ponctuer ses monologues de mots portés sous la ceinture.

Plus inquiétant, un cinquième année (CM2) me demanda sans aucun scrupule, et ce, lors la toute première session, si j’étais homosexuel (je venais d’expliquer brièvement la différence entre he et she) puis, dix minutes plus tard, si je trompais ma femme.

Je venais de démarrer l’année et je ne tenais pas à me mettre en rogne. L’institutrice m’invita à ignorer la chose. Ah, si j’avais eu mon Torgnolle note sous la main…

Enfin un petit gros de sixième me posa la question suivante, lors de mon premier repas dans la classe : « Vous avez des relations sexuelles avec votre épouse ? », chose que l’on ne m’avais pas demandée depuis le collège l’année d’avant.

 

Je le répète, un individu peut adopter un ou plusieurs de ces comportements pendant une période que l’on pourrait nommer « l’âge con » (à ne pas confondre avec l’âge bête qui vient plus tard). Sa durée dépend du sujet.

Depuis mes débuts en tant qu’assistant professeur il y a plus de cinq ans, j’ai l’intime conviction que le nombre d’écoliers touchés n’a cessé d’augmenter comme une épidémie. Que me réserve donc l’année prochaine ? J’en frissonne d’avance.

 

NB : La photo date de 2002, période où je n’avais à déplorer que peu de cas difficiles.

Publié dans Ecoles

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